2015/12/20

Peut-on se passer d'innovation ? PAR ANDRÉ CAYOL LE 15 DECEMBRE 2015


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Peut-on se passer d'innovation ?


Les avantages de l’innovation pour un regain d’activités industrielles n'est plus à démontrer. Et pourtant il y a eu des cas de grandes entreprises en panne d'imagination ou en retard sur les marchés. On sait pourtant que le concept même d’innovation est en relation directe avec celui d’entreprise. Et lorsqu’une société innove, c’est en premier lieu pour maintenir ou augmenter ses parts de marché, notamment en améliorant ses produits. Voici quelques exemples.
 
Dans une petite entreprise (PME) qui ne commercialise que quelques produits, si on n’innove pas, on disparaît (1)Si une entreprise n’innove pas pendant plusieurs années, ses produits vieillissent, les concurrents qui ont innové proposent des produits plus attractifs, qu’ils peuvent vendre plus cher. Ils reprennent des parts de marché. L’entreprise qui n’a rien fait n’arrive plus à vendre ses produits vieillissants. 
Sans création de nouveaux produits ou modernisation des anciens, l’entreprise finit par être dépassée par ses concurrents et meurt ! 
Mais l’innovation est un processus risqué, beaucoup d’inventions ne deviennent jamais des produits ou ne sont jamais vendues. Les obstacles sur le chemin sont multiples et pour les franchir il faut regrouper autour du « berceau de l’innovation » des compétences multiples…Abraham Moles (2) considérait qu’une idée sur dix devenait un produit vendu. On rappelle qu’Albert Einstein disait : « Une personne qui n'a jamais commis d'erreurs n'a jamais tenté d'innover ».
 
Le mot innovation contrairement à invention, sous-tend que le produit existe et qu’il est acheté par des clients. L’innovation se caractérise par l’introduction d’une nouveauté dans un milieu établi. Transposé aux produits nouveaux, le terme ne s’applique que si l’appropriation par le public est réussie. C'est d’ailleurs parce qu'un produit se vend et est utilisé que l’invention devient innovation. La volonté d’entreprendre et de vendre est presque sous-tendue par le mot ! Le concept d'innovation englobe par extension la modernisation des moyens de production et des nouveaux moyens de distribution. On peut aussi innover dans les services.
Nos grandes sociétés du CAC 40, devraient être nos  «champions » pour l’innovation car elles peuvent facilement mobiliser tous les moyens nécessaires pour « travailler » l’innovation : finances, recherches, maîtrise des technologies, design,  marketing. Car pour que cela fonctionne, il faut que tous ces métiers se soient penchés sur le berceau du nouveau produit. 
 
Avant 1973 les entreprises étaient enracinées dans les terroirs français, fières de leur rôle social, de leurs innovations, de la conquête de nouveaux marchés et des emplois et des richesses qu’elles généraient. 
A partir du premier choc pétrolier, on a cherché à obtenir des rentabilités élevées et à diminuer les risques. Alors, dans les entreprises on a arrêté la création de produits et l’innovation, la production a été automatisée, et comme cela ne suffisait pas, la production s’est délocalisée. Nos grandes entreprises ont créé en France, bien avant la crise financière actuelle, une crise endémique de l’innovation et des emplois industriels. Cela se traduisait souvent par l’arrêt, dans la plupart des entreprises, de la recherche et de la création de produits innovants. Pourtant si une société industrielle innove et que le succès est au rendez-vous, il peut être la source de son développement futur et de son avenir.
 

L’innovation présente certains risques mais est un moyen  pour retrouver un avantage compétitif….

 
Nous pouvons choisir quelques exemples pour montrer l’intérêt et le risque d’innover…
Depuis les glaceries royales, Saint Gobain exploitait des usines de glaces traditionnelles. Il s’agissait à partir de verre, en fusion dans un four, de le couler  sur un plateau. Le verre brut était ensuite usiné sur les deux faces pour être bien plan (on disait qu’il était douci), puis ensuite il était poli pour retrouver deux faces parallèles et transparentes. Ce procédé traditionnel, depuis le 17 ème siècle, était un procédé discontinu.
 
Photo : Pavillon « verre » à Sao Paulo de Saint-Gobain célèbrant ses 350 ans dans le monde entier au travers d’une exposition itinérante 
 
Dans les années d’après guerre, Saint Gobain avait utilisé des budgets de recherches colossaux pour innover dans la fabrication des glaces et tenter de fabriquer de la glace traditionnelle en continue. Les chercheurs et ingénieurs de Saint Gobain  avaient développé des machines gigantesques qui coulaient le verre en continu, puis on avait automatisé le surfaçage (un usinage au sable entre des tables de fonte) et le polissage (avec meules vibrantes, feutre et oxyde de fer). 
 
Ces machines qu’on appelait le Twin et le Jusant consommaient  beaucoup d’énergie. Elles ont été techniquement dépassées, dès leur mise au point en 1964, par le « Float-Glass » inventé par la société Anglaise Pilkington dès 1952. 
BSN, le petit concurrent de Saint Gobain, a adopté le Float-Glass, après sa mise au point, dans les années 1960. Ce nouveau procédé était beaucoup plus économe en investissement et en énergie dépensée. Le cash flow disponible a permis à BSN de tenter une OPA sur Saint Gobain en 1968.
Avoir raté cette innovation a couté très cher à Saint Gobain qui a dû abandonner le Twin et le Jusant, racheter le procédé du Float-Glass et payer des Royalties à Pilkington pendant 20 ans. Saint Gobain avait « raté le coche » car « ce n’est pas en perfectionnant la bougie qu’on a inventé l’électricité » (3).
Chez Saint Gobain, la tradition de la recherche et de l’innovation, même en période d’économies (à partir de 1973), n’a pas été perdue, mais elle s’est concentrée sur les « métiers » traditionnels de Saint Gobain qui n’a plus cherché à se lancer sur de nouveaux marchés. Les budgets recherches et développement ont diminué. Saint Gobain a inventé le double vitrage à haut pouvoir isolant, puis le verre autonettoyant. Mais n’a jamais remis en cause «ses métiers » définis de manière assez étroite.
Par exemple : les verres minces dont on parlait déjà en interne en 1978 n’ont toujours pas été développés et Apple a fait fabriquer le verre mince de ses écrans par les asiatiques. Saint Gobain qui rêvait dès 1980 de ces verres minces pour l’automobile ne les a pas encore mis au point...
Autre exemple : les radiateurs en verre trempé, que le centre de développement de Saint Gobain (CDI) avait créé en 1978 et qui étaient prêts à être lancés, n’ont jamais été commercialisés par Saint Gobain….Et pourtant, le produit était une innovation viable qui a été commercialisée avec succès sous la marque « Campaver » par un industriel, fabricant de radiateurs, qui a mis quelques années de plus pour le développer.
Cet exemple est pris dans une société française importante, mais on pourrait trouver d’autres exemples dans toutes les grandes sociétés françaises. On a arrêté le métier « d’entrepreneur » pour gérer au mieux le potentiel disponible avec le moins d’emplois possibles.
 

Par contre, l’innovation de rupture peut être un succès et relancer une industrie

 
Sur le marché des scooters, le risque de chutes a toujours été un frein à la vente.
Dés sa sortie en 2000, le BMW 125 C1 a été un concept qui n’est pas passé inaperçu. Il avait des protections qui permettaient au pilote, grâce à une structure rigide, de s’attacher sous l’arceau de protection. Ce système efficace mais lourd, permettait de ne pas porter de casque. Son prix était élevé. Il a trouvé quelques clients. Mais le 125 C1 n'a pas trouvé son public car sa maniabilité était moins bonne. Les masses et le centre de gravité assez haut ne permettaient  pas de se faufiler dans la circulation.
Ce scooter a été arrêté par BMW en 2003. Malheureusement, les recherches et les outillages pour démarrer la fabrication ont dû coûter cher à BMW et ne pas être amorties.
 
 
Nous pouvons aussi donner l’exemple positif du Piaggo MP3, un scooter à trois roues qui bénéficie d’une stabilité très améliorée. Ce scooter comporte deux roues à l'avant, articulées par un système innovant à parallélogramme. Il peut s'incliner dans les virages comme n'importe quel deux-roues. Un système dénommé Roll-Lock permet de bloquer le parallélogramme à l'arrêt ou au ralenti. Le conducteur peut ainsi ne pas mettre le pied au sol à l'arrêt au feu rouge.
Le modèle haut de gamme vaut tout de même 9800 Euros alors qu’un scooter normal, par exemple le Peugeot 250, vaut environ 1400 Euros. On voit que les ouvriers Européens peuvent être bien payés pour fabriquer ce scooter et que cette innovation, mise en valeur par un bon design, constitue un grand avantage compétitif.
 
Dyson projet N223 (premier aspirateur robot de la marque ?)
 
Autre exemple : L’Anglais James Dyson, Designer devenu industriel de l’électroménager, est exemplaire. Il a créé une société en forte croissance et a construit toute sa stratégie sur l’innovation. Créée en 1992, sa société éponyme employait déjà 2500 personnes en Angleterre en 2006. Son chiffre d’affaires était de 800 millions d’Euros. 
Il a commencé par les aspirateurs sans sac qu’il a longuement mis au point, a créé ensuite des machines à laver, des ventilateurs sans pales apparentes, des sèche-mains instantanés. La nouveauté, la beauté et l’efficacité des produits Dyson incitent à l’achat, alors qu’ils sont souvent bien plus chers que les produits remplissant à peu près la même fonction.
Mais les trouvailles de James Dyson et les fonctionnalités nouvelles qu’il apporte rendent ces produits irrésistibles.
 
L’innovation pertinente pour l’utilisateur a toutes les chances de réussir, et dans ce cas les salaires des ouvriers ne sont pas un problème, car les marges dégagées sur ces produits sont importantes. Ces nouveautés perçues comme des services supplémentaires par les utilisateurs, donnent un avantage compétitif décisif.
 
André Cayol, Ingénieur
 
(1)  Voir l’ouvrage de Bertrand Bellon « innover ou disparaître » éditions Economica
(2)  Abraham Moles était un chercheur en sociologie de l’innovation à l’Université de Strasbourg. Il a fondé la société de micro-psychologie de Strasbourg et il a travaillé sur la théorie du Design.
(3) Pierre Gilles de Gennes disait cette phrase pour parler de l’innovation
 
 
 
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