2015/10/10

Quels avenirs s’offrent aux jeunes ? La Génération Y répond à la Génération Baby-Boom - Leslie Tourneville et Michel Saloff Coste.

Quels avenirs s’offrent aux jeunes ? 
La Génération Y répond à la Génération Baby-Boom



VERSION COURTE FRANÇAISE - SHORT ENGLISH VERSIO -VERSION LONGUE FRANÇAISE

Quels avenirs s’offrent aux jeunes ?
La Génération Y répond à la Génération Baby-Boom


Alors que l’actualité de la COP 21 commande de réfléchir aux conséquences des choix conjoints des Etats pour l’avenir de l’humanité, Michel Saloff-Coste et Leslie Tourneville ont voulu confronter leurs points de vue sous la forme d’un dialogue intergénérationnel sur les grands enjeux planétaires actuels.

Michel Saloff-Coste
            Leslie, vous aurez en tant que membre de CliMates le statut d’observatrice et de représentante des intérêts de la jeunesse durant la COP21. J’aimerais que nous discutions de la façon dont vous envisagez l’avenir de votre génération face aux défis des changements climatiques, et souhaiterais partager avec vous quatre grands scénarios que j’ai élaborés en discutant ces dix dernières années avec des centaines de personnes en Europe et en Amérique. Ces scénarios sont très contrastés et ne sont pas exclusifs les uns des autres : nous pouvons déjà les voir se concrétiser dans différentes régions de la planète.

La pénurie brutale des ressources
            Le premier scénario qui surgit à l’esprit face à l’amoncellement de risques majeurs (réchauffement climatique, effondrement de la biodiversité, manque de ressources et d’eau, surpopulation, migrations, raréfaction des ressources énergétiques, etc.) est le scénario de l’effondrement civilisationnel. Il a été largement documenté par Jared Diamond.

La pénurie progressive des ressources
            Le deuxième scénario, qu’on pourrait nommer clash des civilisations, est largement promu par les tenants de la « real Politik » et reprend l’idée de Huntington : les ressources venant à manquer, des blocs civilisationnels se constitueraient de plus en plus fortement et se combattraient pour l’accès aux ressources. Ce scénario s’appuie sur une vision traditionnelle du monde, avec des combats à somme nulle: compte tenu de la situation planétaire actuelle, je pense que ce scénario risque de dégénérer en scénario perdant-perdant de type 1.

La révolution technologique
            Le troisième scénario, principalement développé par les populations les plus éduquées, notamment les technophiles de la côte Ouest américaine, consiste à imaginer que des découvertes scientifiques majeures résoudront les problèmes auxquels nous sommes confrontés. Certes, un certain nombre de percées scientifiques devraient considérablement nous aider dans le futur, mais il n’est pas difficile de montrer que les problèmes systémiques et pluridimensionnels auxquels nous faisons face impliquent une réflexion philosophique et sociétale plus large que les seules solutions techniques. Le danger de ce scénario est d’endormir notre vigilance et de passer à côté de l’extraordinaire opportunité d’aujourd’hui : repenser les bases de notre civilisation de manière plus viable. La conceptualisation des trois piliers social, environnemental et écologique du développement durable est un pas dans cette direction, mais la théorie économique et politique soutenant cette approche reste à inventer.

Le changement de civilisation
            Le quatrième scénario est justement celui d’une transformation civilisationnelle : une refondation de nos bases philosophiques et culturelles, et la transformation de notre théorie économique et politique. Ce scénario verrait l’avènement d’une société très différente de celle que nous avons connue, construite sur de nouvelles bases qui restent dans une grande mesure à définir. Ce changement de civilisation peut paraître extraordinairement utopique, au sens propre de « lieu sans existence ». Cependant, il est déjà possible de voir se réaliser cette métamorphose dans une multitude d’expériences en rupture bourgeonnant dans les écosystèmes innovants de la planète, touchant le secteur du numérique, de l’agriculture, de l’énergie, etc. et leur intégration.

Leslie, pensez-vous qu’il existe un tropisme des jeunes en faveur de l’un ou l’autre de ces scénarios d’avenir ? 

Leslie Tourneville
            Avant de répondre à votre question, il me semble nécessaire de préciser la définition des termes utilisés, sans quoi il est impossible d’identifier les scénarios les plus prometteurs.

Qu’entendez-vous par un « changement de civilisation » ?
Voyons-nous véritablement émerger sous nos yeux des embryons de civilisation nouvelle, et avons-nous réellement besoin de refonder les bases de notre civilisation pour résoudre les différentes crises planétaires que vous avez citées ?
           
Michel Saloff-Coste
            Ceci est une très bonne question : il est rare, quand on parle de changement de civilisation, de savoir exactement de quoi il est question.

Les refontes des bases épistémologiques de la connaissance et des fondements de la théorie de la valeur peuvent nous conduire à une civilisation de l’abondance.
            Je crois que nous allons vers un changement de civilisation car il va nous falloir repenser les prémisses épistémologiques de notre connaissance. Cela peut faire peur, mais cela s’est déjà passé par le passé de façon remarquable chaque fois que l’activité humaine s’est modifiée en profondeur : en témoigne le passage du chasseur/cueilleur à l’agriculture sédentaire, puis à l’ère industrielle. Nous basculons actuellement dans une nouvelle ère où chacun est interpelé dans sa capacité créative et où les échanges immatériels deviennent de plus en importants et créateurs d’une nouvelle valeur sociale. En effet, lorsque j’échange un objet, je le perds, alors qu’en échangeant des idées, je les démultiplie.
            De manière flagrante, cela remet en cause les bases mêmes de notre économie. Si nous sommes capables de repenser la théorie de la valeur, nous pouvons imaginer une civilisation de l’abondance plutôt que la rareté. Cela repose de manière nouvelle la définition du bien commun.

Leslie Tourneville
            Nos points de vue diffèrent sur la « société de l’immatériel » : elle n’est selon moi qu’une société matérielle du partage des expériences individuelles vécues, et non l’amorce d’une nouvelle civilisation inscrivant le progrès humain dans les cycles naturels planétaires. La communication des idées est matérielle : les NTIC demanderont de plus en plus d’énergie et de ressources. De même, je ne crois pas que notre civilisation se métamorphosera par un changement de perception sur le statut social ou par la tendance de fond à vouloir combiner quête du plaisir et progrès social et environnemental.

La jeunesse actuelle ne se préoccupe pas de considérations civilisationnelles : seules l’intéressent les quatre causes concrètes du changement climatique.
            La jeunesse n’a nullement pour objectif de réinventer la civilisation occidentale : accuser la civilisation de notre incurie lui semble inopérant et déresponsabilisant. Les principales causes du changement climatique sont le système énergétique, la frilosité politique à le modifier, le droit international des affaires et l’idéologie du PIB. Les solutions à ces problèmes sont identifiées et connues. Les blocages principaux à leur déploiement ne sont civilisationnels. Sont à inculper la réticence des gouvernements à réaliser urgemment des investissements publics d’envergure maintenus sur la durée pour la transition, et les règles de la finance et du commerce international soumettant, notamment, à la même concurrence produits et services bénéfiques et maléfiques pour l’environnement et les travailleurs.

Michel Saloff-Coste
Les jeunes pensent-ils qu’ils pourront faire évoluer, maintenant et ultérieurement, l’inertie du modèle de développement à l’origine du changement climatique ?
Comment envisagent-ils leur action dans un scénario futur où ils ne pourraient plus inverser la trajectoire d’un dérèglement climatique irréversible, hors de tout contrôle humain ?

Leslie Tourneville
            « Il faut imaginer Sisyphe heureux » écrit Camus. Les jeunes engagés aujourd’hui face à des problèmes systémiques mondiaux s’appellent tous Sisyphe.
            Ils agissent avec courage et détermination pour créer un empowerment social et personnel concret, et ainsi hisser au sommet le rocher du futur à long-terme de la planète, tout en sachant pertinemment qu’ils n’ont pas le pouvoir à décider de la trajectoire finale de ce rocher. Notre génération se prépare mentalement et activement à construire sa résilience durant le XXIe siècle, par ses campagnes sociales (comme le Divestment) et ses efforts d’inventivité joyeuse en faveur d’une société plus juste. Les jeunes savent aussi que les bonnes surprises et les révolutions ne sont jamais à exclure du champ des possibles ! Ces quatre grands scénarios du futur sont le fruit de ce raisonnement.

La généralisation du système D et de l’innovation frugale
            Un premier scénario d’avenir est celui du « système D comme art de vivre », par l’adaptation perpétuelle aux changements climatiques limités et à la raréfaction des ressources grâce à un esprit d’innovation sans cesse sollicité. Dans les Etats développés, l’éducation créative, les infrastructures en place et la valorisation sociale de l’ingéniosité collective permettent d’éviter les chocs trop brutaux. Au niveau mondial, des techniques de résilience simples et peu chères, inspirées de l’innovation frugale, se diffusent partout sur la planète.

La vengeance des peuples contre les Etats
            Le deuxième scénario, beaucoup plus sombre, est celui de « la vengeance des peuples » contre leur propre Etat et les États développés, dans un contexte de détérioration abrupte et insoutenable des conditions de vie à grande échelle. Au delà des scénarios de guerres du climat développés par Harald Welzer, entrainant instabilité politique, coups d’Etats, Etats faillis et migrations massives, il est possible d’imaginer la constitution de groupes infraétatiques potentiellement transnationaux utilisant le terrorisme et la guérilla par désir de vengeance contre les Etats et les populations jugées responsables de l’irrémédiable. Ces groupes pourraient exiger des transferts financiers massifs ou l’ouverture des frontières pour l’accueil des populations réfugiées.
            Des procès de justice demandant réparation auprès de larges administrations étatiques ou de multinationales pourraient également voir le jour[1].

La rupture technologique motrice d’un retour à la centralisation et la régulation
            Le troisième scénario de la rupture technologique n’est ni un espoir ni une solution pour de nombreux jeunes. Toutefois, je ne crois pas qu’il doive être exclu du champ des possibles. Une « solution miracle » pourrait susciter un soutien politique puissant et une modification du droit du commerce international afin de massifier son expansion, ainsi qu’un désinvestissement massif du secteur des hydrocarbures à son profit, à condition toutefois d’être développée par un ou plusieurs Etats parmi les plus puissants de la planète et de posséder une forte « licence to operate ».
            En revanche, ce scénario doit se concrétiser au plus tard d’ici vingt ans ans pour avoir une chance importante de limiter le changement climatique.

Le rééquilibrage perpétuel entre besoins, production, et ressources disponibles, grâce la quasi-gratuité
            Un quatrième scénario possible est celui de « l’étalon de l’Indicateur de Progrès véritable[2] et de la systématisation du presque-gratuit ». Ce futur verrait l’avènement d’une nouvelle revendication politique prenant sa source dans les débats popularisés par Jeremy Ryfkin et les promoteurs du revenu de base : tout ce qui est considéré comme vital à l’épanouissement des personnes – se nourrir, se loger, se déplacer, se soigner, se former – peut et doit être accessible à tous quasi-gratuitement. La libération de l’obligation du travail rémunéré, la baisse des prix après amortissement, et le don sont le cœur battant de la société.
            Ce scénario implique quatre éléments : une éducation intégrée holistique des citoyens, une économie reposant sur des entreprises ne priorisant pas le profit net, la domination des énergies renouvelables combinant obligation de sobriété et quasi-gratuité de l’énergie, et la définition de politiques publiques entièrement centrées sur l’économie de l’usage.
            Les concepts de société de la rareté et de l’abondance seraient dépassés : cette société serait celle de « l’adéquation » entre les besoins des citoyens, la production, et les ressources de la planète.





SHORT ENGLISH VERSION

What futures for future generations?
Baby-Boom and Y answer.

Number of signs: 11 658

The coming COP21 obliges us to consider the future of humanity and the answers to the numerous present and coming threats given so-far by the international community. Michel Saloff Coste and Leslie Tourneville wanted to compare their points of view on today's major global challenges in the form of an intergenerational dialogue.

Michel Saloff Coste
Leslie, as a member of Climates you will have the chance to have an observer statuts during the COP21 in order to represent the youth interests in these negotiations. I would like to discuss with you about how you see the future of your generation in face of the climate challenge. I also would like to share with you four scenarios that I have developed after discussing with hundreds of people in Europe and America during the past decade. These scenarios are highly contrasted and are not exclusive of each other: we can already see them materialize in different regions of the planet.

The sudden shortage of resources
The first scenario that comes to mind, considering all the major risks that we face (climate change, biodiversity collapse, lack of resources and water, overpopulation, migration, scarcity of energy resources, etc.) is the scenario of civilizational collapse. It has been widely documented by Jared Diamond.

The progressive shortage of resources
The second scenario, which might be called clash of civilizations, is widely promoted by advocates of the "Real Politik" and is inspired by ​​Huntington’s theory: as resources come to an end, civilizational blocs strongly grow and start fighting for the access to resources. This scenario is based on a traditional view of the world, with zero-sum games (win-lose): given the current global situation, I think that this scenario could degenerate into lose-lose type 1 scenario.

The technological revolution
The third scenario is mainly developed by the most educated people, and is particularly spread among the techies of the American West Coast: major scientific breakthroughs will solve the problems we face. For sure, future scientific breakthroughs should considerably help us in the future. Nevertheless, it is not difficult to show that the systemic and multidimensional problems we face involves a much larger philosophical and societal brainwork than the only suggestion of technical solutions. The danger of this scenario is to lull our vigilance and to miss our contemporary extraordinary opportunity: rethink more viable foundations of our civilization. The conceptualization of sustainability’s three pillars – social, environmental and ecological – is a first step in this direction. Yet, the economic and political theory behind this approach remains to be invented.

The change of civilization
The fourth scenario is precisely about a civilizational transformation: it consists in an overhaul of our philosophical and cultural foundations, including the transformation of our economic and political theory. This scenario would see the advent of a very different society from the one we have known, built on new foundations that remain largely to be built. This change of civilization may seem extraordinarily utopian in the literal sense of "place without existence." However, it is already possible to see this metamorphosis happen in a multitude of social experiments, budding out in innovative ecosystems on the planet, affecting the digital sector, agriculture, energy, etc. and integration.

Leslie, do you think that there is a tropism of young people in favor of either of these future scenarios?

Leslie Tourneville
Before answering your question, it seems necessary to clarify the definition of the terms used, otherwise it is impossible to identify the most promising scenarios.
What do you mean by a "change of civilization"?
Do we truly see emerging the embryos of a new civilization before our eyes, and do we really need to rebuild the foundations of our civilization to address the various global crises that you mentioned?

Michel Saloff Coste
That is a very good question: indeed, it is rare to know exactly what we are talking about when a change of civilization is mentioned.
The revision of the epistemological foundations of knowledge and the reconsideration of our theory on value can lead us to a civilization of abundance.
I think that we are moving towards a change of civilization, because we will have to rethink the epistemological premises of our knowledge. This can look scary, but it has already happened in a dramatic way whenever human activity changed in depth: look at the transition from hunters/trappers to settled agriculture and the industrial era. We are currently entering into a new era in which everyone has to highlight his/her creative capacity: intangible and “immaterial” exchanges are becoming more and more important as creators of new social values. Indeed, when I exchange an item I lose it, while in exchanging ideas, I multiply them. Blatantly, this questions the very foundations of our economy. If we succeed in rethinking the theory of value, we can imagine a civilization of abundance rather than scarcity. These new values also question the definition of the common good.

Leslie Tourneville
Our views differ on the "immaterial society": in my opinion, it is rather a material society full of digital sharing of individual experiences, and not the beginning of a new civilization in which human progress is fully embodied global natural cycles. The communication of ideas is material: the NICTs will ask for more and more energy and resources. Similarly, I do not think that our civilization will be transformed by a change in perception on social status, or by the long-term trend consisting for individuals to try to combine pleasure with social and environmental progress.

Today's youth does not care at all about civilizational change: we are only concerned about the four concrete causes of climate change.
Youth does not aim at reinventing the Western civilization: making “civilization” responsible for our carelessness seems to young people inoperative and disempowering. The main causes of climate change are known: the carbon-intensive energy system, the political reluctance to change it, the international business law and the GDP ideology. Solutions to these problems have been identified and are well-known. The main obstacles to deployment are not civilizational: they consist in the reluctance of some governments to urgently carry out large-scale public investment, maintained over time, for the ecological transition, plus the rules of international trade and finance that impose the same competition between products that are beneficial or evil to the environment and the workers.

Michel Saloff Coste
Do young people think that they can move, now or/and later, the inertia of the development model causing climate change?
How do they consider their potential action in a future scenario where they could not reverse the trajectory of an irreversible climate change, beyond any human control?

Leslie Tourneville
"We must imagine Sisyphus happy" Camus wrote. The young people committed to facing global challenges like climate change can be called Sisyphus.
They act with courage and determination to create social and personal empowerment, and thus rise this big rock – the long-term future of the planet – to the top, knowing perfectly well that they have no power to decide on the final trajectory of this rock. Our generation is mentally and actively preparing to build its resilience during the twenty-first century, with all its social successful campaigns – as the Divestment campaign, initiated by students, show – and its cheerful inventiveness efforts for a fairer society. Young people also know that surprises and revolutions are never to be excluded from the range of possibilities! These four future scenarios are the result of this reasoning.

The generalization of resourcefulness and frugal innovation
A first future scenario can be called “resourcefulness as a way of life": it consists in the perpetual adaptation to climate change and resources’ scarcity through a constantly solicited innovative spirit. In developed countries, creative education, infrastructures and social valuation of collective ingenuity can help avoid too brutal shocks. Globally, simple and cheap resilience techniques, inspired by frugal innovation, are spreading across the globe.

The revenge of peoples against states
The second much darker scenario shows the "revenge of the peoples" against their own state and developed states, in a context of large-scale sharply deteriorating living conditions. Beyond the climate wars scenarios developed by Harald Welzer, causing political instability, coups, failed states and mass migrations, it is possible to imagine the formation of potentially transnational sub-state groups using terrorism and guerrilla warfare led by desire for revenge against states and peoples held responsible for irremediable climate change. These groups may ask for massive financial transfers or open borders for the reception of refugees. Courts seeking damages from large multinationals or state governments through trials could also emerge[3].[LT1] 

The technological breakthrough driving a return to centralization and regulation
The third scenario of technological breakthrough is neither a solution nor a hope for many young people. However, I do not think that it should be excluded from the range of possibilities. A "quick fix" could create a powerful political support and some modifications in the international trade law to expand it massively, as well as a massive disinvestment from the hydrocarbons sector to its advantage. Nevertheless, this can only happen under certain conditions: this solution should be developed by one or more states among the most powerful ones in the world, and have a strong social "license to operate". Anyway, this scenario should materialize at the latest within two decades to have a significant chance of limiting climate change.

The perpetual balance between needs, production, and resources available through the virtually free
A fourth possible scenario could be called "the standard of the Genuine Progress Indicator[4][LT2]  and the systematization of nearly-free." It would see the arousal of a new political claim taking its root in the debates popularized by Jeremy Ryfkin and the proponents of universal garanteed income: everything considered vital to people’s fulfillment - food, shelter, transportation, health, training – can and must be accessible to all, so (almost) free. Gifts as well as the release from the perpetual obligation of paid work, and lowering final prices after amortization, are the beating heart of society. This scenario involves four elements: a holistic and integrated education of citizens, an economy based on self-organized groups made of inventive volunteers not prioritizing profit, the domination of renewables that forces to combine sobriety with access to nearly-free energy, and the definition of public policies entirely centered on the “sharing economy”. The former concepts of scarcity and abundance would be outdated: this society would know an adjusted "balance" between the needs of citizens, production, and the planet's resources.


Leslie Tourneville
Directrice Ressources Humaines et Formation du think-and-do-tank CliMates
Observatrice des négociations de la CCNUCC depuis 2014 en tant qu’accréditée au sein de YOUNGO
Consultante indépendante en RSE, compétente en prospective

Community and Skills Management Director of CliMates
YOUNGO representative in the UNFCCC – Observer during COP21
CSR Consultant, trained on foresight

Biographie (français)
Leslie Tourneville est consultante indépendante spécialisée en responsabilité sociale et environnementale d'entreprise et compétente en matière d'études prospectives. Diplômée de SciencesPo. Paris et titulaire du Master II Développement durable de la Paris School of International Affairs, ses spécialités d’études touchent aux différentes méthodes de capture, séquestration et transport du dioxyde de carbone, ainsi qu’aux enjeux socio-économiques, politiques et philosophiques de la neutralité carbone. Elle étudie également les liens entre trajectoires de développement, transitions énergétiques et sécurité internationale.
Actuellement Directrice RH et Formations de CliMates, think-and-do tank international d'étudiants et jeunes professionnels engagés sur les défis climatiques, elle participe aux négociations onusiennes de la CCNUCC depuis octobre 2014 en tant que membre de YOUNGO.

Biography (english)
Leslie Tourneville is a policy analyst consultant specialised in sustainability foresight, impact analysis and corporate social responsibility. She holds a Master’s Degree in International Affairs and Sustainability Policies at the University of SciencesPo, Paris. Her area of concentration concerns emerging technologies of CO2 absorption and sequestration and carbon neutrality. Her other areas of interest are the social impacts of energy transition policies and their links with international security and conflict transformation studies.
Member of YOUNGO, the youth constituency of the UNFCCC, and observer of the UNFCCC negotiations since october 2014, she is currently the Community and Skills Management Director of the international youth-led think-and-do tank CliMates.

Description de CliMates (français)
Créée en 2011, CliMates est un think & do tank international regroupant environ 150 étudiants, jeunes professionnels et chercheurs bénévoles dans plus de 40 pays.
L’association est observatrice officielle des sessions de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC). Elle fut classée 60e du classement des 100 think-tanks internationaux spécialisés sur le climat en 2013 par l’International Center for Climate governance.

CliMates a trois principaux objectifs :
-       créer des outils et des idées innovantes pour répondre au défi climatique de manière interdisciplinaire, collaborative et internationale, en combinant recherche et action ;
-       former les prochaines générations de décideurs à devenir des acteurs du changement pour catalyser une transition vers un modèle de société bas-carbone, en leur donnant les outils de compréhension, d’actions et de mobilisation autour des enjeux climatiques ;
-       former les professionnels actuels aux enjeux énergie-climat via des outils pédagogiques innovants de type serious games.




Description de CliMates (français)
Créée en 2011, CliMates est un think & do tank international regroupant environ 150 étudiants, jeunes professionnels et chercheurs bénévoles dans plus de 40 pays.
L’association est observatrice officielle des sessions de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC). Elle fut classée 60e du classement des 100 think-tanks internationaux spécialisés sur le climat en 2013 par l’International Center for Climate governance.

CliMates a trois principaux objectifs :
-       créer des outils et des idées innovantes pour répondre au défi climatique de manière interdisciplinaire, collaborative et internationale, en combinant recherche et action ;
-       former les prochaines générations de décideurs à devenir des acteurs du changement pour catalyser une transition vers un modèle de société bas-carbone, en leur donnant les outils de compréhension, d’actions et de mobilisation autour des enjeux climatiques ;
-       former les professionnels actuels aux enjeux énergie-climat via des outils pédagogiques innovants de type serious games.

Pour plus d’informations : www.studentclimates.org

Description CliMates (anglais)
Founded in 2011, CliMates is a international think and do tank entirely led by students and young researchers and professionals, composed of 150 members in 40 countries. The association is an official observer of the United Nations Framework Convention on Climate changes’ sessions (UNFCCC). In 2013, it was ranked 60th among 100 international think tanks dedicated to climate change by the International Center for Climate governance.

CliMates has three main objectives:
-       create innovative tools and ideas to face climate change challenges in a interdisciplinary, international and collaborative way, combining research and action ;
-       train tomorrow changemakers to help young people create a resilience zero-carbon society, by giving them knowledge, action and mobilization kits on climate issues ;
-       train professionals on climatic and energy issues through innovative pedagogical tools, like serious games.

For more informations: www.studentclimates.org








VERSION LONGUE EN FRANCAIS

Quels avenirs s’offrent aux jeunes ?
La Génération Y répond à la Génération Baby-Boom

Alors que l’actualité de la Conférence des Parties 21 commande de réfléchir aux conséquences des choix conjoints des Etats pour l’avenir de l’humanité, Michel Saloff-Coste et Leslie Tourneville ont voulu confronter leurs points de vue sous la forme d’un dialogue intergénérationnel sur les grands enjeux planétaires actuels.


Michel Saloff-Coste
            Leslie, vous aurez en tant que membre de CliMates le statut d’observatrice et de représentante des intérêts de la jeunesse durant la COP21.  J’aimerais que nous discutions de la façon dont vous envisagez l’avenir de votre génération face aux défis des changements climatiques, et souhaiterais partager avec vous quatre grands scénarios que j’ai élaborés en discutant ces dix dernières années avec des centaines de personnes en Europe et en Amérique. Ces scénarios sont très contrastés, et ont pour objectif de couvrir de manière globale les transformations planétaires auxquels nous sommes confrontés. Comprenez bien qu’ils ne sont pas exclusifs les uns des autres : nous pouvons déjà les voir se concrétiser dans différentes régions de la planète.

La pénurie brutale des ressources
            Le premier scénario qui surgit dans l’esprit de chacun face à l’amoncellement de risques majeurs (réchauffement climatique, effondrement de la biodiversité, manque de ressources et d’eau, surpopulation, migrations, raréfaction des ressources énergétiques, etc.) est le scénario du crash civilisationnel. Il a été largement documenté par Jared Diamond.

La pénurie progressive des ressources
            Le deuxième scénario, que nous pourrions nommer clash des civilisations, est largement promu par les tenants de la « real Politik » et reprend l’idée de Huntington : les ressources venant à manquer, des blocs civilisationnels se constitueraient de plus en plus fortement et se combattraient pour l’accès aux ressources. Ce scénario est souvent évoqué par les militaires, dont le rôle traditionnel est de protéger les territoires et d’en assurer l’approvisionnement en ressources diverses. Ce scénario s’appuie sur une vision traditionnelle du monde, avec des combats à somme nulle (perdant-gagnant) : compte tenu de la situation planétaire actuelle, je pense que ce scénario risque de dégénérer en scénario perdant-perdant de type 1 : le clash civilisationnel se muerait en crash.

La révolution technologique
            Le troisième scénario, principalement développé par les populations les plus éduquées et bercées de pensées scientifiques, notamment chez les technophiles de la côte Ouest américaine, consiste à imaginer que des percées scientifiques majeures résoudront les problèmes auxquels nous sommes confrontés. Certes, un certain nombre de percées scientifiques devraient considérablement nous aider dans le futur, mais il n’est pas difficile de montrer que les problèmes systémiques et pluridimensionnels auxquels nous faisons face impliquent une réflexion philosophique et sociétale plus large que les seules solutions techniques. Le danger de ce scénario est d’endormir notre vigilance et de passer à côté de l’extraordinaire opportunité d’aujourd’hui : repenser les bases de notre civilisation de manière plus viable. La conceptualisation des trois piliers social, environnemental et écologique du développement durable est un pas dans cette direction, mais la théorie économique et politique soutenant cette approche reste à inventer.

Le changement de civilisation
            Le quatrième scénario est justement celui d’une transformation civilisationnelle : une refondation de nos bases philosophiques et culturelles, et la transformation de notre théorie économique et politique. Ce scénario verrait l’avènement d’une société très différente de celle que nous avons connue, construite sur de nouvelles bases qui restent dans une grande mesure à définir. Ce changement de civilisation peut paraître extraordinairement utopique, au sens propre de « lieu sans existence ». Cependant, il est déjà possible de voir se réaliser cette métamorphose dans une multitude d’expériences en rupture bourgeonnant dans les écosystèmes innovants de la planète, touchant le secteur du numérique, de l’agriculture, de l’énergie, etc. et leur intégration.

Leslie, pensez-vous qu’il existe un tropisme des jeunes en faveur de l’un ou l’autre de ces scénarios d’avenir ? 

Leslie Tourneville
            Avant de répondre à votre question, il me semble nécessaire de préciser la définition des termes utilisés, sans quoi il est impossible d’identifier les scénarios les plus prometteurs.

Qu’entendez-vous par un « changement de civilisation » ?
Voyons-nous véritablement émerger sous nos yeux des embryons de civilisation nouvelle, et avons-nous réellement besoin de refonder les bases de notre civilisation pour résoudre les différentes crises planétaires que vous avez citées ?
           
Michel Saloff-Coste
            Ceci est une très bonne question : il est rare, quand on parle de changement de civilisation, de savoir exactement de quoi il est question.

Les refontes des bases épistémologiques de la connaissance et des fondements de la théorie de la valeur peuvent nous conduire à une civilisation de l’abondance.
            Je crois que nous allons vers un changement de civilisation car il va nous falloir repenser les prémisses épistémologiques de notre connaissance. Cela peut faire peur, mais cela s’est déjà passé par le passé de façon remarquable chaque fois que l’activité humaine s’est modifiée en profondeur : en témoigne le passage du chasseur/cueilleur à l’agriculture sédentaire, puis à l’ère industrielle. Nous basculons actuellement dans une nouvelle ère où chacun est interpelé dans sa capacité créative et où les échanges immatériels deviennent de plus en importants et créateurs d’une nouvelle valeur sociale. En effet, lorsque j’échange un objet, je le perds, alors qu’en échangeant des idées, je les démultiplie.
            De manière flagrante, cela remet en cause les bases mêmes de notre économie. Si nous sommes capables de repenser la théorie de la valeur, nous pouvons imaginer une civilisation de l’abondance plutôt que la rareté. Cela repose de manière nouvelle la définition du bien commun. Certes, à cheval entre deux civilisations, les paradoxes se multiplient : abondance, extrême rareté et montée des extrêmes.

Leslie Tourneville
            J’aimerais exposer ici une aporie majeure du discours du passage de la société de production à la société de l’information : la communication des idées n’est jamais immatérielle. La croissance actuelle des NTIC nécessite de plus en plus d’énergie et de métaux rares, et est productrice de déchets.

La société de l’immatériel est une société matérielle du partage des expériences vécues : la jeunesse croit à la responsabilisation des individus, à l’épicurisme en tant que quête du plaisir en dehors du surplus, et à l’enrichissement personnel par la quête du Bien.
            Derrière l’importance accrue de « l’immatériel », plus matériel qu’il n’y paraît, se cachent deux tendances de long terme, qui sont toutefois loin, selon moi, de redéfinir la civilisation : le statut social se fonde de moins en moins sur la position hiérarchique et l’argent per se – ne nous attendons toutefois pas à ce que ces attributs disparaissent – et de plus en plus sur l’intensité des expériences vécues et le partage social de cette richesse de vie. Une autre tendance portée par les jeunes est celle de l’importance donnée à la dimension immatérielle du progrès humain : s’ils considèrent qu’il est naturel aux animaux sociaux que nous sommes d’avoir soif de « toujours plus », ils considèrent qu’il est tout aussi naturel de vouloir « toujours mieux ». La question de savoir comment combiner quête du plaisir et progression sociale et environnementale se généralise, réveille l’envie d’entreprendre, et stimule la création de nombreuses innovations incrémentales qui se veulent bénéfique pour tous.

            Ces deux tendances n’induiront toutefois pas à elles-seules la décorrélation nette et nécessaire entre pollution et production de biens et services dont le monde a besoin pour ne pas sombrer dans le dérèglement climatique : de nombreux cadres d’action doivent être entièrement révisés pour faire du développement durable une réalité et non un vain mot.

            Les jeunes engagés d’aujourd’hui sont des réalistes idéalistes non-idéologues. Ils aspirent au confort tout en étant lucides sur les difficultés futures que leur promet à coup sûr le business as usual, et ils veulent ré-enchanter leur monde, autant qu’ils le peuvent, à leur échelle : non par les grands discours, mais uniquement par leurs actions, qu’ils ne souhaitent pas déléguer aux « élites » censées les diriger ou les représenter.

Michel Saloff-Coste
Ne souhaitent-ils pas réinventer la civilisation alors, ainsi que je l’évoque dans mon quatrième scénario ?

Leslie Tourneville
            Absolument pas.

La jeunesse se fiche de réinventer la civilisation occidentale, car la civilisation n’est pas pensée comme responsable des problèmes auxquels nous devons faire face.
            Les jeunes, par lucidité sur la nature et l’avènement des changements sociaux, ne veulent pas du tout changer la civilisation occidentale. Je posais précédemment la question de la définition de la civilisation car selon moi, parler d’un désir et d’un besoin de changement de civilisation est intrinsèquement inopérant et déresponsabilisant : la majorité des jeunes ne pense pas qu’il nous faille remonter aux fondements historiques, religieux, politiques et épistémologiques de nos diverses cultures nationales pour construire un futur décarboné et/ou résilient aux changements climatiques.
            D’abord parce qu’une si titanesque transformation n’est pas un objectif opérationnel, réalisable durant le temps d’une vie, dont la réussite se décide : aucun chef d’Etat ni aucun peuple ne peut décider de changer de civilisation. Est-ce donc pertinent d’y aspirer ?
            De plus, accuser la civilisation est déresponsabilisant car cela pointe du doigt les fondements de notre culture et de nos modes de pensées comme coupables de notre incurie actuelle, alors que nous savons aujourd’hui concrètement quels sont les secteurs d’activité et les actions responsables les plus émetteurs auxquels il faut s’attaquer en priorité. Nous avons déjà à disposition, au sein des fondements épistémologiques de notre civilisation judéo-chrétienne, légaliste, rationaliste et techniciste, ancrée dans les Droits de l’Homme, l’Etat-Nation, l’économie de marché (l’invention du capitalisme étant très récente dans l’histoire de notre civilisation) et les innovations technologiques, les moyens de déployer toutes les solutions nécessaires pour répondre au problème du réchauffement climatique. J’applique ce raisonnement a fortiori à toutes civilisations et cultures existantes, qui ont chacune leurs armes pour s’adresser sur leur territoire aux causes du changement climatique.

Les quatre principales causes du changement climatique sont le système énergétique, la frilosité politique à le modifier, le droit international des affaires et l’idéologie du PIB.
            La responsabilité du système de production industriel basé sur les hydrocarbures (très récent dans l’histoire plurimillénaire de la civilisation occidentale, et adopté aujourd’hui par toutes les civilisations du globe) est évidente : or, nous savons aujourd’hui que faire pour adopter de nouveaux mix énergétiques décarbonés, en conjuguant efficacité énergétique, énergies renouvelables, intelligence des réseaux et sobriété, sans entamer matériellement le confort de vie et en améliorant la santé et le bien-être des individus. 

            Sont également responsables du changement climatique l’immense réticence et frilosité de la majorité des gouvernements à réaliser des investissements publics d’envergure maintenus sur la durée pour la transition écologique. Ce manque d’ambition - qui s’explique notamment par « l’impératif catégorique » de réduire l’endettement pour pouvoir continuer d’emprunter sur les marchés, en limitant les dépenses et investissements - est couplé à une peur quasi panique d’un ralentissement de la croissance du PIB à court-terme et de la perte d’emplois au sein de certains secteurs d’activité émetteurs, que provoqueraient l’implantation de nouvelles normes fiscales et réglementaires appropriées. Or, de nombreuses études économiques invalident la peur de la récession à un niveau macro-économique ; certains pays développés et en développement montrent l’exemple en prenant des mesures extrêmement ambitieuses tout en affichant la croissance de leur PIB ; et les principaux syndicats des travailleurs concernés réclament eux-mêmes une aide à la « transition juste » de leurs emplois vers les nouveaux secteurs de la transition écologique, en cas de mesures impactant leurs métiers.

            Les règles du droit international actuellement en vigueur, relatives à la finance et au libre-échange mondiaux, empêchent – pour ne citer que cela – la mise en place au niveau national ou régional de normes commerciales et financières favorisant l’accès aux marchés de biens n’impactant pas l’environnement. Bien que les propositions de réponses à ces enjeux existent et que certaines réformes soient timidement amorcées, aucune puissance hégémonique – pour ne pas citer les Etats-Unis – ne semble vouloir entrainer les autres dans une telle refonte du système économique mondial : les initiatives ad hoc des pouvoirs publics sont donc actuellement risquées et soumises à l’offensive des pays dont les entreprises seraient lésées.

            Enfin, la cause du réchauffement climatique est idéologique, dans le sens où il nous est encore très difficile d’imaginer la croissance de l’emploi et le bonheur des individus s’épanouissant dans le respect de limites à leur liberté de consommer et de jeter toujours plus. La relocalisation des monnaies alternatives et de l’économie du partage, la co-élaboration croissante de la richesse, et des nouvelles formes de gouvernance démocratique incarnées par certains groupements de citoyens comme le mouvement des Villes en transition ou partis politiques comme Podemos, tentent de tracer des voies avec l’humilité de l’expérimentation et de la progression à petits pas, avec les succès parfois fulgurants que nous leur connaissons.

            Toutes les solutions sont donc à portée de main, déjà écloses, et d’autres s’apprêtent certainement à naître : mais les jeunes engagés sur ces questions constatent chaque jour que les évolutions sociétales de cette ampleur, si elles ne reçoivent pas l’aide d’un ample braquage de gouvernail des institutions politiques nationales ou internationales, prennent nécessairement du temps, alors que le pic des émissions de gaz à effets de serre (GES) et leur réduction brutale doivent être amorcés d’ici à peine quelques années au niveau mondial.

Michel Saloff-Coste
Si les jeunes sont conscients de la potentielle inertie du système sociétal qui entretient le changement climatique alors que les solutions sont à portée de main, que pensent-ils qu’il adviendra du monde dont eux-mêmes et leurs enfants hériteront ? Comment envisagent-ils leur action, une fois parvenus aux postes de pouvoir, dans un scénario où ils ne pourraient plus inverser la trajectoire d’un dérèglement climatique irréversible hors de tout contrôle humain ?
Les jeunes pensent-ils qu’ils pourront faire évoluer, maintenant et ultérieurement, l’inertie de quatre causes du changement climatique ?

Leslie Tourneville
            Faut-il rappeler que les succès de la campagne de « divestment », qui font réagir aujourd’hui toutes les entreprises privées pétrolières et cesser des investissements qui se comptaient en millions en dollars, ont été initiés par des étudiants ? Mais faut-il rappeler également que plus de 75 % des réserves de brut de pétrole sont contrôlées par des entreprises d’Etat et ne peuvent donc que très difficilement être touchées par cette campagne désinvestissement ?
            Faut-il rappeler que, selon le GIEC, en l’état actuel des connaissances, les émissions de GES devront être nulles en 2050, soit d’ici seulement 35 ans, pour avoir 85 % de chances de rester sous le seuil des 2°C d’augmentation moyenne des températures mondiales d’ici 2100 ? Dit autrement, nous aurions toujours plus d’une chance sur 10 de dépasser ce dangereux seuil des 2°C malgré tous nos efforts pour décarboner entièrement notre économie dans un temps relativement court.
N’oublions jamais que la nature, de même que le futur, restent foncièrement imprévisible : un réchauffement climatique incontrôlable pourrait advenir malgré l’inflexion de nos sociétés.
            Je tiens à dire que la jeunesse actuelle sait que son avenir n’est pas entièrement entre ses mains : tout en militant et en créant les conditions d’une nouvelle ère, elle sait qu’elle doit se préparer à construire sa résilience face à l’imprévisible et au pire.
            « Il faut imaginer Sysiphe heureux » écrit Camus : les jeunes engagés d’aujourd’hui sont autant de Sysiphes. Ils agissent en conscience avec toute leur bonne volonté par des actions concrètes d’empowerment social et personnel, tout en sachant qu’ils n’ont pas le pouvoir de dessiner le futur à long-terme de la planète. Cette relative impuissance est autant due à l’inertie des systèmes climatiques et océaniques qu’au fait qu’ils ne peuvent pas prendre les décisions politiques de court-terme d’infléchissement de la courbe des émissions des GES dans le laps de temps où tout se joue : leurs parents et grands-parents le font actuellement à leur place. Le fonctionnement de la Terre se chargera du reste.
            Ils doivent donc se tenir prêts à tout vivre durant ce prochain siècle : ils s’y préparent mentalement, par les difficultés et les crises qu’ils vivent et/ou constatent déjà au quotidien, et activement, par les campagnes sociales et les efforts d’inventivité joyeuse qu’ils déploient pour créer les conditions d’une société plus juste et résiliente. Ils savent aussi que les bonnes surprises et les révolutions ne sont jamais à exclure du champ des possibles !
            Ces quatre grands scénarios du futur, contrastés et nuancés, sont le fruit de ce raisonnement.

La généralisation du système D et de l’innovation frugale
            Un premier scénario que j’envisage pour l’avenir est celui du « système D comme art de vivre », par l’adaptation perpétuelle aux changements climatiques et la raréfaction des ressources rendue possible grâce à un esprit d’innovation sans cesse sollicité. Il faudrait la chute d’un astéroïde géant  pour assister au crash civilisationnel de l’Occident : les Etats développés détiennent à la fois l’éducation, les richesses monétaires, les infrastructures en place et la philosophie de l’innovation nécessaires pour éviter les chocs trop brutaux et permettre à leur population de continuer à vivre « relativement » bien, même si les ressources productives venaient à manquer du fait d’une faible anticipation des problèmes. Au niveau mondial, ce scénario conduit à imaginer la diffusion de techniques de résilience simples et peu chères, inspirées de l’innovation frugale, partout sur la planète.

La vengeance des peuples contre les Etats
            Le deuxième scénario, beaucoup plus sombre, est celui de « la vengeance des peuples » contre leur propre Etat et les États développés, dans un contexte de détérioration insoutenable des conditions de vie à grande échelle. Les jeunes générations, majoritairement pacifistes dans l’âme, n’imaginent pas la constitution de blocs civilisationnels – sur quelles bases, et pourquoi faire ? – et ne veulent pas d’une « guerre des civilisations ». En revanche, les limites à l’adaptation au changement climatique existent : il est tout à fait possible que des millions d’êtres humains en Amérique du Sud et centrale, en Asie et en Afrique, soient poussés à l’exil  interne et international en cas de dérèglement climatique et océanique particulièrement graves et de ruptures brutales d’approvisionnement en ressources.
            Au delà des scénarios de guerres du climat développés par Harald Welzer, entrainant instabilité politique, coups d’Etats, Etats faillis migrations massives, je pense que nous pourrions voir se généraliser une violence visant les Etats et ayant pour motif principal la dégradation environnementale. Elle verrait la constitution de groupes infraétatiques potentiellement transnationaux, issus des populations les plus impactées, informés sur les causes des changements climatiques, recourir à la violence armée du terrorisme et de la guérilla, aux frontières ainsi qu’à l’intérieur de certains pays déclarés « responsables ». Ces groupes agiraient aussi bien par désir de vengeance contre les Etats et populations jugées responsables de l’irrémédiable, que pour exiger des transferts financiers massifs ou l’ouverture des frontières pour l’accueil des populations réfugiées.
            Des procès de justice de juridictions nationales demandant réparation pourraient également voir le jour, basée sur le préjudice environnemental et l’identification d’acteurs institutionnels étatiques et de grandes entreprises responsables.


La rupture technologique moteur d’un retour à la centralisation et la régulation
            Le troisième scénario de la rupture technologique n’est ni un espoir ni une solution pour de nombreux jeunes. Je pense toutefois qu’il ne doit pas pour autant être exclu du champ des possibles. Une telle « solution miracle » pourrait susciter un soutien politique puissant et une modification du droit du commerce international afin de massifier son expansion, ainsi qu’un désinvestissement massif du secteur des hydrocarbures à son profit, à condition d’être développée par un ou plusieurs Etats parmi les plus puissants de la planète et de posséder une forte « licence to operate » auprès des populations.
            En revanche, ce scénario doit se concrétiser au plus tard d’ici vingt ans ans pour avoir une chance importante de limiter le changement climatique.

Le rééquilibrage perpétuel entre besoins, production, et ressources disponibles, grâce la gratuité
            Un quatrième scénario possible est celui de « l’étalon du Bonheur national brut et la systématisation du gratuit ». Les réflexions actuelles portées notamment par Jérémy Ryfkin sur le revenu de base, l’économie du don, la décentralisation de la production des énergies renouvelables, les nouvelles technologies à coût marginal quasi nul, ainsi que les usages des générations internet baignées dans la culture de la gratuité et de l’horizontalité, invitent à imaginer l’avènement d’une nouvelle revendication politique : tout ce qui est considéré comme vital à l’épanouissement des personnes – se nourrir, se loger, se déplacer, se former – doit être accessible à tous, donc (quasi) gratuit. La libération de l’obligation du travail rémunéré et le don sont le cœur battant de la société.
            En matière d’énergie, cette fourniture gratuite rend a priori impossible la prévention de l’effet-rebond et la diminution de la quantité totale d’énergie consommée ; en matière de fourniture de biens et services, la (quasi) gratuité est contradictoire avec les impératifs de la production de masse à faible coût, qui demande impérativement un retour sur investissement des capitaux ayant été déboursés pour permettre les économies d’échelle nécessaires à la massification. Comment les jeunes surmontent-ils ces deux contradictions ? En introduisant quatre éléments :
-       une éducation intégrée holistique de tous les citoyens, conciliant la maîtrise de savoirs, savoir-être et savoir-faire pratiques, ainsi que l’encouragement de l’entraide dès l’enfance ;
-       la multiplication de groupes de volontaires inventifs auto-organisés, utilisant les nouvelles technologies et une économie circulaire localisée pour offrir au public la majorité des biens et services demandés à très faible coût ;
-       la domination des énergies renouvelables dans le mix énergétique, combinant l’obligation de sobriété de la consommation à la gratuité de l’énergie ;
-       et la définition de projets politiques mettant la fraternité et le développement d’une économie de l’usage au cœur des politiques publiques.
Les Etats comme le secteur privé se verraient clairement attribués le rôle de favoriser la diffusion de la quasi-gratuité. Les concepts de société de la rareté et de l’abondance seraient dépassés : cette société serait celle de « l’adéquation » entre les besoins des citoyens, la production, la consommation et les ressources de la planète.

La jeunesse fait entrevoir le monde futur souhaité sur le long-terme : mais ne peut à elle-seule, par définition, le faire advenir à court-terme. Bientôt, sa première préoccupation sera de s’adapter au monde qui sera advenu.
            Quel scénario du futur est le plus probable selon les jeunes ? Celui de tenter de vivre heureux quelles que soient les difficultés et les crises à venir ; sachant que le bonheur est impossible sans cohérence avec ses convictions et ses aspirations. Le fatalisme ouvert à l’imprévu – attitude lucide devant le problème du réchauffement climatique soumis aux inerties sociales et naturelles – oblige à penser selon la philosophie cynique de Diogène, en valorisant les initiatives perturbatrices, en faisant fi des discours abscons, en négligeant la vanité matérielle, et en vivant au milieu de la cité selon sa propre sagesse, sans vouloir nécessairement imposer son mode de vie à autrui. Au regard de la nature de la menace climatique, alors qu’un nombre croissant de Cassandre ne cesse depuis des décennies de lancer l’alerte, une telle position permet de rester sain d’esprit. La jeunesse que je côtoie a fait sienne la prière de la Sérénité : « Que me sois donnée la sérénité d’accepter les choses que je ne peux pas changer, le courage de changer les choses que je peux, et la sagesse d’en connaître la différence. » Comment demander à la jeunesse d’être absolument sereine ? En revanche, je pense que ma génération ne manque ni de courage ni de sagesse.



[1] Dans la continuité du premier procès au monde sur la question de la responsabilité en matière de changement climatique, qui a vu la décision en juin 2015 d’un tribunal néerlandais ordonnant au gouvernement national d’améliorer sa stratégie de réduction des émissions de gaz à effets de serre. La notion de préjudice environnemental s’étendrait au changement climatique.
[2] D’autres indicateurs intégrés existent, comme l’Indice de bien-être durable, la Bonheur national brut, etc. L’objectif est ici de montrer la fin de la suprématie du PIB.
[3] In the continuity of the world’s first climate liability suit, as a Dutch court ruling ordered the Dutch government in June 2015 to cut its emission reduction targets. The notion of environmental damage would expand to climate change.
[4] Other integrated indicators than GPI (Genuine Progress Indicator) exist, like the Index of Sustainable economic welfare, Gross National Happiness, etc. The objective is to show the end of the GDP supremacy.






 [LT1]I COULD NOT SUCCEED IN CHANGING THE NUMBERS OF THE NOTES ! THIS ONE SHOULD BE 1 (AND NOT 3).


 [LT2] THIS NOTE SHOULD BE NUMBER 2 (AND NOT 4).







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