2013/06/09

2013 06 09 Michel Saloff Coste Au sujet de l'évolution dans le cadre de l'Université Intégrale








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La nouvelle avant-garde : Vers un changement de culture de Michel Saloff-coste, Alain Gauthier et Carine Dartiguepeyrou (30 mai 2013)







EVOLUTIONS 

MICHEL SALOFF COSTE

Quand on considère cette incroyable aventure du passé, comment penser que l'aventure du futur serait moins incroyable ? Quand on pense qu'à chaque étape de ce passé l'étape suivante était inconcevable, impossible à imaginer comme à prédire, comment ne pas penser qu'il en ira de même pour notre futur ?  Edgar Morin


Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ?

Le monde est-il donné une fois pour toutes ou au contraire est-il en évolution ?
Quelle est la place de l'homme et son rôle dans le cadre de cette évolution ?
Le changement et l'histoire sont-ils purement hasardeux et chaotiques ou ont-ils un sens ?

Autant de questions qui, de tout temps, ont enflammé les esprits des hommes, alimenté les débats philosophiques et structuré les croyances religieuses.
Des cultures entières, des civilisations, sont nées, se sont développées et effondrées en fonction de leur réponses, plus ou moins pertinentes, à ces questions.

Des positions inconciliables, parfois totalitaires, ont débouché sur des inquisitions, des persécutions, des guerres.

Des millions d'êtres humains continuent de croire aveuglément encore en des représentations depuis longtemps invalidées et cela même dans les pays les plus "modernes" comme le montre le débat sur le créationnisme en Amérique.[1]


Pourtant, pour la première fois dans l'histoire de l'humanité, le développement et l'élargissement extraordinaires de nos moyens d'observations scientifiques dans le temps et l'espace nous donnent des réponses nouvelles !

Le destin de l'humanité et du monde apparaît aujourd'hui sous des angles inattendus.

L'identité de l'humanité en sort profondément transformée. Paradoxalement cette métamorphose se fait dans le plus grand silence médiatique, comme si ces changements étaient tellement immenses que personne ne puisse en parler !

Une bonne nouvelle venue du cosmos

Pour la première fois nous sommes capables aujourd'hui de reconstituer en détail l'évolution de notre univers : "big bang", vaste nuage d'hydrogène, première génération d'étoiles avec des composés relativement simples ; deuxième génération d'étoiles avec des composés plus complexes comme le carbone ; apparition d'organismes unicellulaires ; développement et diversification des organismes multicellulaires. Finalement, après plusieurs effondrements massifs de la biodiversité, émergence et expansion de la conscience à travers des formes de vie de plus en plus complexes et apparition de la conscience de la conscience avec l'homme !

Quelle créativité !

La découverte du big bang nous invite aussi à penser au-delà de notre horizon d'observation et dans le cadre d'un cosmos infini. Le big bang de notre univers n’en constitue sans doute qu'un parmi une infinité de big bangs et donc d'univers possiblement différents les un des autres, se déployant chronologiquement dans le temps et parallèlement dans l'espace[2].

Par contraste, lorsque je suis né, il était habituel de penser que notre univers était éternel, immuable et donné une fois pour toute comme une sorte de toile de fond minéral aux espèces vivantes et à l'homme "moderne", seul capable d'évoluer et de progresser !

Une bonne nouvelle "radicale" me semble avoir totalement transformé notre vision du monde : notre univers et au sens large le cosmos est infiniment créatif, évolutif et porteur de sens. Il est capable à partir d'un vaste nuage d'hydrogène de donner naissance à des girafes et des tapirs mais aussi à Shakespeare et à Mozart et cela sans doute, de manière différente et infiniment créative, dans des milliards de galaxies et d'univers.

Le spectacle que nous révèlent pour la première fois nos télescopes géants est non seulement esthétiquement magnifique mais aussi grandiose en termes d'échelle, de temps, d'espace ! Le soleil ne représente qu'un grain de sable à l'échelle de la voix lactée de notre galaxie qui elle-même ne représente qu'une poussière à l'échelle de l'univers. Nos croyances et nos rêves les plus fous se révèlent bien étriqués face à la réalité que nous révèle notre découverte de l'univers.

Le fait que l'univers tout entier montre une constante évolution créative vers plus de complexité et d'intelligence nous laisse supposer que de nombreuses autres formes de vie et d'intelligence soient en train d'évoluer dans les milliards d'autres galaxies.

Philosophiquement il nous faut sans doute penser le cosmos comme espace et temps infini, création et évolution infinie non seulement de la matière et de l'énergie mais aussi de l'information et de la conscience[3] !

La possibilité du jaillissement de la vie et de la conscience partout dans l'univers et cela bien au-delà des limites et des contraintes terrestres et humaines, constitue sans doute l'information la plus importante que l'homme doit intégrer aujourd'hui. Cela remet en cause l'homo-centrisme qui préside à nos philosophies et religions. Mais cela nous donne aussi l'immense espoir que nos aspirations vers plus de sens et de conscience puissent être portées bien au-delà de nos limites terrestres et humaines.

Cela est une extraordinaire bonne nouvelle !

L'humanité n'est plus isolée dans son aventure vers plus de conscience et de sens, perdue au milieu d'un vaste univers inerte et minéral. Au contraire, des milliers d’autres formes de vies et de consciences, sans doute encore plus évoluées, existent et assurent, au-delà des limites terrestres et humaines, la pérennité de l'aventure de la vie et de la conscience.

Notre conscience dont nous nous montrons si fiers ne représente sans doute qu'une des formes intermédiaires parmi une multitude de formes de conscience, plus ou moins larges et complexes. D'une certaine manière le Cosmos lui-même peut être considéré "conscience" comme nous invite à le penser les Upanishads, un des textes les plus anciens de l'humanité : « As is the human mind, so is the cosmic mind. As is the microcosm, so is the macrocosm. As is the atom, so is the universe! »- Upanishads

Nos aspirations et nos rêves les plus grandioses d'expansion de la vie et de la conscience ne constituent sans doute que des reflets bien ternes et limités de formes de vie actuellement en développement dans notre galaxie et dans les milliards d'autres galaxies.

La tête dans les étoiles

C'est une véritable révolution, encore plus profonde que celle de Copernic. Non seulement nous ne sommes plus le centre du monde topographiquement, mais nous sommes aussi obligés de remettre en cause notre "homo-centrisme", notre centralité ontologique en tant que seuls êtres "pensants" et "conscients de la conscience" dans l'univers.

Cette thématique alimente la littérature dite de "science-fiction" qui apparaît comme une tentative humaine parfois maladroite, mais souvent aussi originale, de penser notre nouvelle identité au milieu de formes de consciences différentes.

D'une certaine manière nous sommes enfin déchargés de la responsabilité immense, et sans doute démesuré pour nos fragiles épaules, de porter le monde.

D'autres points de lumières existent même si nous disparaissons. Même si nous nous égarons, d'autres formes de vie et de conscience pourront trouver le chemin. Bien plus profondément l'aventure humaine avec la conscience qui la caractérise et qui nous tient tant à cœur, semble en quelque sorte inscrite au cœur même du cosmos dans son devenir le plus intime, encore, encore et encore !

Cependant à l'échelle humaine nous sommes bien loin de pouvoir franchir physiquement les espaces et les temps dans lesquelles s'opère le "jeu" cosmique. La fantastique danse des galaxies que nous révèlent nos télescopes s'effectue sur des distances infranchissables et sur des échelles de temps où une vie humaine est aussi insignifiante qu'éphémère. Nos frères et sœurs de conscience apparaissent dispersés sur des espaces immenses et inatteignables dans le cadre étroit de nos vies humaines.

Pourtant nous languissons tant de "les" connaître que nous croyons déjà les voir partout, venus d'ailleurs, dans de fulgurantes soucoupes volantes paradoxalement aussi insaisissables que populaires !

Les échelles de temps et d'espace de l'évolution cosmique nous obligent à beaucoup de modestie, y compris sur Terre. De même que nous n'avons pas connu la grande majorité des espèces terrestres passées et notamment les glorieux dinosaures qui ont dominé la Terre pendant des millions d'années, il nous est bien difficile d'imaginer et de connaître dans quelques millions d'années les espèces qui nous remplaceront un jour sur cette Terre et qui nous surpasserons sans doute en intelligence.

L'infiniment grand nous renvoie en miroir aux limites étroites de nos vies : infiniment courtes et infiniment immobiles. Nos rêves de pouvoir, notre agitation perpétuelle, nos guerres fratricides et absurdes apparaissent aussi sympathiques et insignifiantes que l'agitation multicolore des poissons exotiques et amnésiques tournant en rond dans le petit aquarium d'une chambre d'enfant.

De même que l'histoire de l'univers se dévoile à nous, nous découvrons mieux que jamais nos origines préhistoriques et tous les détails de l'évolution humaine sur Terre. Nous disposons désormais de suffisamment de données quantitatives pour dépasser l'histoire purement événementielle, aléatoire et anecdotique. Nous pouvons comprendre les grandes étapes de notre passé sous l'angle d'une évolution structurelle et logique. Cela nous permet de parvenir à une bien meilleure compréhension de notre futur et de ses enjeux[4].

L'histoire humaine s'accélère

Il y a environ un million d'années nous apparaissons en tant qu'espèce dans la famille des grands mammifères. Nous nous distinguons par le volume de notre cerveau, par notre capacité à sortir de notre niche écologique et à explorer la planète, à nous adapter à tous les climats, à chasser en bande, à inventer des pièges, des outils et des signes. Par notre habileté à la chasse et à la cueillette il semble que, dès cette époque, nous avons un impact significatif et mesurable sur notre environnement végétal et animal. Nous ne sommes pourtant que quelques millions dispersés sur toute la surface de la Terre.

Il y a environ 10 000 ans commence la période dite historique avec le développement de l'écriture, de l'agriculture et de l'élevage. Les empires égyptien, indien, mongol, chinois, grec, romain, chrétien et arabe structurent de vastes territoires et les premières villes apparaissent. En quelques milliers d'années nous déboisons plus de la moitié des terres cultivables de la planète.

En 1850 nous sommes devenus un milliard. Grâce au crédit bancaire et à l'exploitation des énergies fossiles, l'industrie se développe considérablement. Les émissions de CO2 et l'exploitation massive des ressources minérales commencent. En 1900, en France par exemple, plus de la moitié des emplois sont créés dans le secteur industriel. En quelques décennies nous détruisons un tiers de la biodiversité et la moitié de certaines de nos ressources minérales. Nous transformons de manière mesurable notre atmosphère et la température de la planète.

Aujourd'hui nous sommes sept milliards, la pollution tue des milliers de personnes chaque année[5]. Du fait de la surexploitation des terres et des mers, nous assistons à un effondrement rapide de la biodiversité et à la mise en danger de nos capacités de production alimentaire agricole et océanique. Le climat tout en devenant de plus en plus chaotique se réchauffe beaucoup plus rapidement que prévu. Alors que nous pensions pouvoir stabiliser le réchauffement à 2 degrés d'ici la fin du siècle, il est maintenant prévisible que nous dépassions 3 à 4 degrés d'ici 2050 et possiblement 6 à 8 degrés d'ici la fin du siècle. Cela signifie une transformation très profonde de notre biosphère, une montée significative du niveau marin, une destruction massive de notre biodiversité et une précarité croissante pour des milliards d'êtres humains à travers des crises économiques, sociales et écologiques d'ampleur mondiale aboutissant à des génocides et la possible disparition de l'humanité !

Le piège du pétrole

Il s’avère paradoxal et ironique que notre réussite face à toutes les autres espèces animales soit venue de notre capacité à créer des pièges de plus en plus sophistiqués et que nous soyons peut être appelés à disparaître dans une sorte de gigantesque piège créé par nous-mêmes à l'échelle de la planète.

Comme dans un piège nous sommes attirés par une ressource, "le pétrole", mais comme dans un piège aussi lorsque nous prenons conscience du danger il est impossible de faire marche arrière !

Notre civilisation tout entière est basée sur le pétrole. Le pétrole, "l’or noir", se trouve au centre des grands enjeux capitalistiques, géopolitiques et planétaires d'aujourd'hui et de demain. Même une économie verte, basé sur le recyclage total et sur une gestion optimisée des ressources grâce aux technologies de l'information, a besoin d'énergie !

La croissance, le développement industriel, le PIB est directement corrélé avec l'offre énergétique et plus particulièrement avec le cœur de cette offre, la source la plus pratique et maniable à ce jour : le pétrole[6].

Le pétrole fournit aujourd'hui encore 90% de l'énergie de nos transports et représente la première source d'énergie de l'industrie et de l'agriculture. Dans le contexte de notre mixte énergétique actuelle, le peak oil, c'est à dire le plafonnement de la production de pétrole, signifie la fin de la croissance et une lente décroissance à mesure que la production va s'effondrer.

Cependant malheureusement si le flux de la production de pétrole en plafonnant est incapable d'alimenter notre croissance, en revanche le CO2 diffusé par ce flux (pourtant restreint) est suffisant, en s'accumulant durablement dans l'atmosphère, pour générer désormais un effet de serre et un réchauffement climatique susceptibles à terme de déréguler l'ensemble de notre écosystème, nous anéantir et détruire la plus grande partie des animaux et des végétaux[7].


Nous savons depuis longtemps que notre dépendance au pétrole est dangereuse. Depuis longtemps nous cherchons des énergies alternatives et cela parfois de manière très coûteuse et dangereuse. Cependant l'impact reste, même à moyen terme, marginal du point de vue du mixte énergétique planétaire. Le nucléaire, l'éolien et le solaire sont complémentaires au pétrole mais restent secondaires en termes de pourcentages dans le mixte énergétique mondial, et leur potentiel de développement reste insuffisant à court terme du faite de l'ampleur des infrastructures à mettre en place, de l'importance des capitaux à investir et des délais de finalisation.

Malgré le plafonnement annoncé de la production de pétrole, des prix qui s'envolent, une situation géostratégique des ressources précaires et des risque écologiques planétaire majeurs, nous n'avons pas de plan de transformation réelle de notre modèle énergétique dans les trente ans à venir et nous ne connaissons aucune source d'énergie de substitution crédible permettant de répondre rapidement et écologiquement à la demande de sept milliards d'êtres humains en pleine croissance et développement[8] ! Nous sommes obligés de nous rabattre sur des sources d'énergie encore plus polluantes et controversées comme les schistes bitumineux, le gaz de schiste ou le charbon.


L'espèce humaine est jeune sur l'échelle de vie d'une espèce. Il serait triste que nous disparaissions prématurément en détruisant complètement notre magnifique écosystème du fait, paradoxalement, de notre trop grande et fulgurante réussite parmi toutes les espèces vivantes sur la Terre.
Notre réussite, notre croissance en termes de population et de PIB, est directement corrélée et liée à l'exploitation d'une ressource non renouvelable et polluante, le pétrole. Nous avons su inventer cette civilisation basée sur le pétrole et elle nous a permis un développement exceptionnel et historiquement incomparable. Serons-nous capables de survivre aux effets délétères et pervers d'un modèle de développement à bout de souffle ?
Pourrons-nous faire marche arrière et trouver une évolution future viable pour tous ?

Rien n'est moins sûr.

Les sommets de chefs d'Etat autour des enjeux climatiques depuis plus de vingt ans ne constituent que des cache-misère où chacun (tout particulièrement les principaux acteurs) vient officiellement réaffirmer son droit inaliénable à polluer et a émettre toujours plus de CO2 au nom du besoin, vital pour l'économie, de la croissance du PIB. Ces sommets qui devaient à l'origine apporter des solutions planétaires et réassurer notre bien commun le plus précieux, notre avenir collectif à long terme, ne font au contraire que mettre en scène des intérêts égoïstes à court terme de chaque nation et la programmation assumée de la destruction à moyen terme de la biosphère planétaire et de l'humanité.

Comment en serait-il autrement puisque les diplomates autour de la table sont mandatés par leur pays pour défendre leur intérêt local et à court terme et que personne n'est là pour représenter le long terme, la biosphère et l'humanité ?

Gouvernance planétaire et montée des extrêmes

L'humanité se révèle aujourd'hui sans défense et sans gouvernance, face à des enjeux qui l'interpellent dans sa capacité d'unité et de devenir collectif. Les peuples, dans le monde entier, y compris dans nos démocraties dites avancées, sont séduits de plus en plus par des discours populistes simplistes de repli identitaire, intégriste et totalitaire alors que les enjeux planétaires réclament ouverture, dialogue, remise en question et transformation de nos modèles d'évolution.

L'accès aux ressources essentielles, la terre, l'eau, l'air, devient de plus en plus problématique. Elles sont sources de conflits, de plus en plus difficiles à gérer partout dans le monde et le pétrole, lui, reste l'ultime joker incontournable de la puissance et du déploiement armé.

L'effondrement de la croissance remet en cause nos économies basées sur le crédit, rend nos états insolvables, déstructure le contrat social de nos sociétés et rend difficile le financement, pourtant stratégique, d'une transition vers un nouveau modèle économique social et écologique.

Les politiques de transition vers un nouveau modèle butent sur l'incapacité des politiques politiciennes partisanes de sortir du court terme et de l'agitation.

Nous risquons des guerres entre les grands continents afin d'accéder aux ressources alimentaires, minières et énergétiques. Mais nous risquons aussi l'apparition de guerres civiles au sein des continents eux-mêmes, liées au désarroi, à la polarisation de la société civile entre des positions traditionalistes et révolutionnaires et à l'extrémisme des positions politiques, comme on le voit aux Etats-Unis entre les mouvements Occupy and Tea Party et au Moyen Orient entre les intégristes traditionalistes et les révolutionnaires modernistes.
Dans le monde entier se superposent de manière complexe et imbriquée des luttes souterraines ou affirmées : les luttes entre états pour élargir leurs zone d'influences, accéder aux ressources non renouvelables et si possible sanctuariser le territoire national par un parapluie atomique ; les luttes entre cultures et religions pour élargir leur audience et assurer une domination régionale ; les luttes économiques et monétaires afin de maîtriser les chaînes de créations de valeur et de capitalisation ; les luttes pour contrôler l'information et être précurseur en termes d'innovation.

L'humanité est en guerre contre elle-même depuis les premiers combats entre tribus il y a plusieurs millions d'années. Mais ces guerres incessantes sont aujourd'hui incompatibles avec la bonne gestion et la survie de notre espèce sur cette planète ! 




Embarquement vers le futur

Nous avons lors du siècle précédent appris à comprendre notre passé et à anticiper notre futur. Les problématiques auxquelles nous sommes confrontées aujourd'hui ont été anticipées dès les années 70 avec déjà une certaine précision : la population croissante, le plafonnement des ressources, le réchauffement climatique, parmi d’autres.

Nous avons pu vérifier notre capacité à anticiper le futur et nous avons pu améliorer et développer des méthodes de plus en plus robustes et précises. Il est possible de prévoir avec de plus en plus de précision le futur grâce aux masses considérables d'informations que fournit aujourd'hui Internet. Mais la prospective ne consiste pas simplement à anticiper le futur et les scénarios les plus probables, la prospective consiste aussi à imaginer des futurs possibles. Les scénarios les plus probables ne sont pas toujours les plus souhaitables, et l'apport le plus précieux de la prospective est de nous donner un temps d'avance pour orienter stratégiquement l'action dans un sens désirable.

Dans le contexte planétaire d'aujourd'hui le scénario le plus probable, si on laisse se dérouler les événements dans la logique actuelle, présente de grands risques pour l'humanité.

Comme le jardinier peut pratiquer une taille de restructuration sur un arbre, l’homme doit se raisonner et élaguer des habitudes devenues inadaptées pour permettre à l’humanité de survivre et s‘épanouir dans toute sa splendeur.


Quel mode d’emploi ?

Que faut-il faire pour éviter le scénario catastrophe, de plus en plus documenté mais aussi malheureusement, de plus en plus probable du fait de notre inertie ?

La première condition est de ne pas se laisser enfermer dans l'irrémédiable. Il est important de bien mesurer et comprendre le danger mais aussi les possibilités d'évolutions et de création que suscite une crise de cette ampleur. L'humanité bénéficie d'un niveau d'éducation et des moyens de communication sans précédent pour créer et innover collectivement. Il est vital que les personnalités les plus créatives dans tous les domaines, se rencontrent, échangent et élaborent des solutions et des scénarios alternatifs convaincant et solides. Sur ces sujets une réflexion bouillonnante s'est développée dans le monde depuis une trentaine d'années. D'abord très marginale, elle a touché les milieux intellectuels de la recherche et les think tanks de prospectives, puis elle a commencé à se répandre dans certaines universités de pointe. Les livres sur le sujet se sont multipliés. Depuis une quinzaine d'années ces réflexions donnent lieu à des congrès et débats internationaux de formats et de sensibilités divers. On a vu apparaître au-delà des débats théoriques des tentatives de mise en pratique . Plus récemment le cinéma et même la télévision se sont emparés du sujet.

A mesure que les informations s'échangent on voit apparaître un consensus et une compréhension de plus en plus détaillés du diagnostic et de la nature de la crise.

Les différents risques sont de mieux en mieux documentés.

On commence à voir apparaître des tentatives pour hiérarchiser les risques, si bien que des débats sur les différents types de solutions deviennent possibles. A mesure que la crise s'amplifie on voit apparaître aussi des réflexions de plus en plus hétérodoxes, ambitieuses et créatives. Comme dans les grandes évolutions et transformations humaines du passé, la transition que nous vivons s'élabore d'abord à travers la critique épistémologique des cadres de référence du passé. Face à des équations apparemment impossibles à résoudre et à des catastrophes apparemment irrémédiables, les solutions ne peuvent être trouvées qu’en changeant d’échiquier et en questionnant nos a priori. De nouvelles approches philosophiques, artistiques et scientifiques sont en train d'émerger et de se préciser.

Trois grands bouleversements ?

Au-delà des différentes approches théoriques et des pratiques encourageantes qu'elles suscitent à différents niveaux d'échelle, trois grandes difficultés me semblent subsister et devenir très préoccupantes.

Un nouveau rapport au temps : pour la première fois l'humanité doit se préoccuper de son futur à long terme, anticiper des risques majeurs, inventer des solutions en urgence et, avant qu'il ne soit trop tard, les mettre en œuvre à l'échelle planétaire. L'humanité n'a jamais eu à faire cela avant. Sera-t-elle capable d'apprendre dans les délais ?

Un nouveau rapport a la planète : jusqu’à maintenant la planète constituait une ressource, et chaque nation se trouvait en concurrence avec toutes les autres pour étendre son exploitation. Les enjeux planétaires impliquent que les anciens ennemis apprennent à vivre comme dans une famille en se soutenant mutuellement et en protégeant leur bien commun, leur maison : la planète et sa biosphère. L'humanité sera-t-elle capable de faire la paix ?

Le caractère planétaire de la crise appelle à une gouvernance planétaire. La pollution ne connaît pas les frontières ! Mais cette gouvernance ne pourra être légitime que si elle renouvelle la dynamique démocratique et la délibération populaire. Or nous assistons, au contraire, du fait même des inégalités croissantes, à l'hégémonie toute puissante de nouvelles formes de ploutocraties, très minoritaire, qui monopolisent les leviers du pouvoir sans légitimité démocratique.


Comment gérer la famille humaine et ses limites ?

Pour se rendre compte des choix auxquels l'humanité est confrontée, il se révèle intéressant de se projeter sur des temps longs qui nous permettent, comme des loupes, de rendre évidents un certain nombre d'enjeux.


La population planétaire forme un exemple facile à comprendre et très structurant.

Combien d'êtres humains souhaitons-nous compter sur la planète Terre à un horizon de 100 ans, de 1000 ans, ou de 100 000 ans ?
Cette question est importante, car si nous devons gérer la Terre comme la maison de la famille humaine et apprendre à nous aimer plutôt qu’à nous déchirer, il est souhaitable d'être réaliste sur la taille de la famille que nous pouvons entretenir dans de bonnes conditions pour chacun.
Il est facile aussi de comprendre que notre qualité de vie dépend du nombre de personnes que nous souhaitons et du niveau de vie général de la famille.
Si nous généralisons par exemple le modèle américain, il nous faudra une dizaine de planètes pour supporter les 9 milliards que nous serons aux environ de 2050.

Avec le modèle européen il faudrait environ cinq planètes.

Si les Américains considèrent que leur mode de vie n'est pas négociable et si nous voulons une société relativement homogène celà veut dire que nous devons réduire à terme la population planétaire à moins d’un milliard.

Historiquement il est important de prendre en considération que ce que nous appelons la société de consommation n'a touché principalement qu’un milliard de personnes sur les sept milliards que nous sommes à présent, tandis que l'impact sur la planète est déjà insoutenable. La généralisation de notre mode de vie à l'ensemble de l'humanité est irréaliste mais nous faisons croire cependant à l'humanité tout entière que nous sommes un modèle viable ! Notre système bancaire fondé sur le crédit se nourrit de la croissance. La croissance implique une constante augmentation de la population ayant accès à la société de consommation. Actuellement le système économique mondial serait en faillite sans la croissance des pays émergents. Cependant l'intégration des 500 millions de nouveaux consommateurs pose de nombreux problèmes en termes de ressources renouvelables et de respect de la biodiversité. Qu'en sera-t-il dans un siècle et a fortiori dans mille ans ? N'oublions pas que ces nouveaux consommateurs ne représentent qu’un dixième du restant de l'humanité !

Comment vont réagir au cours de se siècle les 5 milliards d'êtres humains qui, loin de bénéficier du progrès, subissent sans contrepartie et de plein fouet les effets pervers de notre développement : le réchauffement climatique, la désertification de leur terres et la famine.

Voici un exemple très symbolique de l'injustice flagrante du développement actuel vis-à-vis de certaines populations : la pollution planétaire ayant tendance à se concentrer lentement aux pôles du fait des courants marins, les phoques qui vivent dans ces régions sont empoisonnées par des centaines de polluants différents et deviennent donc de moins en moins comestibles. Les populations esquimaudes qui se nourrissent essentiellement de phoque voient le lait maternel des femmes devenir toxique. Ce peuple frugal qui vit depuis des dizaines de milliers d'années en équilibre avec la nature est littéralement empoisonné et anéanti dans ses ressources essentielles du fait des débordements du reste du monde.


Que faire ?

J'aimerais conclure sur quelques pistes qui me semblent incontournables si nous voulons sauver l'humanité et la biosphère avec les espèces animales et végétales qui nous sont familières et que nous avons appris à aimer.

Conscience planétaire

Il est important d'ouvrir le dialogue et la collaboration entre les pays, les religions, les cultures mais aussi les expertises, les secteurs, les filières. Ce dialogue est important pour que des consensus partagés et démocratique puissent émerger[9]. C'est aussi le moyen de la prise de conscience planétaire d'une nouvelle identité humaine élargie.

Changement de paradigme et philosophie intégrale

Comme à chaque grande transformation et étape du développement humain, l'émergence d'un véritable "conscience planétaire" implique une déconstruction et une analyse critique de nos systèmes de croyances passés et de leurs limites. La découverte de l'unité humaine, dans le respect des différences culturels et de l'altérité de chacun, implique l'élaboration d'un nouveau paradigme culturel capable d'intégrer la richesse multidimensionnelle de l'histoire humaine et la diversité des formes de sagesse. Il s'agit d'élaborer une philosophie nouvelle et des valeurs adaptées aux enjeux d'aujourd'hui.


Coévolution et structures participatives

En termes de management nous devons développer des structures horizontales qui permettent la créativité, la participation et la mise en valeur du plus grand nombre.

Ré-enchanter le futur

Il n'y pas de vent porteur pour le navigateur qui ignore où il va ! Si l'humanité veut survivre, il lui faut s'extirper de la torpeur et du laisser-aller. Il faut inventer des chemins alternatifs au scénario catastrophe standard[10] et créer, imaginer des scénarios positifs, crédibles et robustes pour l'avenir de l'humanité.

Notre avenir dépend de notre capacité à recycler ce que nous produisons, dé-carbonner notre modèle énergétique et inventer une manière de capter le CO2 existant avant qu'il ne soit top tard.

Il nous faudra sans doute augmenter la résilience et l'autonomie à différents niveaux d'échelle en relocalisant le plus possible la production énergétique, alimentaire et industrielle au plus près du consommateur final.

Dans le contexte de cette relocalisation il est aussi important d'imaginer une diversité de modèles économiques et de monnaies d'échange local permettant une meilleure fluidité et une meilleure distribution de la richesse en réduisant les effets pervers de la spéculation et de la concentration capitalistique au niveau mondial[11].

La relocalisation et la subsidiarité doivent être complétées par l'élaboration d'une forme de gouvernance mondiale démocratique en charge du bien commun et des enjeux planétaires à long terme. Il n'y aura pas durablement de démocratie locale si nous n'apprenons pas à construire une démocratie à l'échelle de la planète.



[1] Creationism not Evolution? 46% American adults believe our world is less than 10,000 years old and God created man in present form. Sondage Gallup.

[2] Enseignant à l'Université Stanford depuis 1990, Andrei Linde, un des plus grands cosmologistes de notre temps, a formulé en 1982 une nouvelle théorie de l'univers qui se veut une "amélioration" du modèle du Big Bang (l'explosion initiale à l'origine de la création de l'univers). L'univers décrit par Linde enfanterait de nouveaux univers par autoreproduction et selon une arborescence empruntée aux mathématiques fractales découverte par Benoît Mandelbrot. Il y aurait donc eu création d’un univers à partir duquel plusieurs bulles se seraient formées de façon indépendante. Ces nouvelles bulles seraient en fait des points de l'univers qui seraient entrés en expansion en eux-mêmes, sans affecter l'univers originel. Chacun de ces univers aurait ses propres lois de la physique et pourrait donner naissance à d'autres univers, et ainsi de suite. Ce mécanisme donnerait lieu à un univers autoreproducteur éternel et infini dans le temps et dans l'espace. Le modèle de Linde est à la fois très audacieux et très novateur car il dépasse le problème de l'origine du Big Bang et se situe dans un nouveau cadre théorique qui intègre la relativité générale et la physique des particules (théorie quantique des champs et théorie des interactions fondamentales) pour obtenir un cadre explicatif plus général. Ce nouveau cadre, appelé "quintessencence" par certains physiciens, est fascinant car il ouvre la possibilité mathématique et physique d'une création ex nihilo, à partir de fluctuations du vide quantique.

[3] La théorie des champs akashiques d’Ervin Laszlo: Science and the Akashic Field: An Integral Theory of Everything propose un champ d'information comme substance primordiale du cosmos. Utilisant le terme Sanskrit et Védique pour l'"espace", Akasha, il nomme ce champ d'informations le "champ akashique" ou "champ A". Il explique que le "vide quantique" constitue l'énergie fondamentale qui transporte des informations et informe non seulement l'univers présent, mais tous les univers passés et futurs (ensemble, les "méta-univers"). Laszlo décrit comment ce champ informant peut expliquer comment notre univers est si profondément bien réglé ainsi que comment se forment les galaxies et la vie consciente et pourquoi l'évolution est un processus non pas aléatoire, mais réglé. Son idée est que son hypothèse peut résoudre plusieurs problèmes de la physique quantique, entre autres la non-localité et l'intrication quantique. Son hypothèse permettrait également de régler des différends entre religion et science.

[4] “Time, change and the laws of history”, by Douglas H. Ervin SFI Bulletin 2012 Vol.26

[5] L'OMS - qui estime que la pollution atmosphérique en milieu urbain serait responsable d’1,3 million de décès annuels dans le monde - et par l'Union européenne, à travers différents programmes et notamment Aphekom. Les principaux polluants incriminés sont des gaz (ozone, dioxyde d'azote, dioxyde de soufre...), des métaux lourds (plomb, cadmium...), ou des particules en suspension dans l'air. http://www.lepoint.fr/futurapolis/climat-energie/du-risque-dans-l-air-10-09-2012-1504672_434.php

[6] Qu'est-ce que l'énergie, exactement ?

[7] « Les émissions de gaz à effet de serre ont un effet cumulatif, c'est-à-dire que leur effet s'additionne année après année, exactement comme l'effet de la fumée du tabac s'additionne année après année sur les poumons du fumeur, pour le tabac comme pour le climat, quand les ennuis sont là il est trop tard pour faire machine arrière. De même, une fois que les ennuis du changement climatique seront là, nous ne pourrons plus faire machine arrière, même en baissant les émissions et la seule certitude que nous aurons alors est que les ennuis iront en s'aggravant pendant un ou deux siècles au moins quoi que nous fassions. Il est impossible de déterminer scientifiquement à quel moment nous franchirons le seuil nous assurant d'une catastrophe climatique majeure dans un futur plus ou moins lointain. Nous ne pouvons pas reprocher aux pouvoirs publics notre manque de volonté personnelle pour moins prendre l'avion, moins conduire, moins chauffer nos logements ou avoir des maisons moins grandes, moins acheter de produits manufacturés, etc., et nous ne pouvons raisonnablement demander à l'industrie de porter seule l'effort de réduction des émissions, alors que sa contribution n'est que de 20 à 30% du total. Pour le changement climatique comme pour le tabac, une large partie de l'effort à fournir repose sur les épaules de vous et moi. »  http://www.manicore.com/documentation/serre/tabac.html

[8] « En imaginant une croissance à deux chiffres comme toute économie dynamique peut l’avoir si sa natalité ne fléchit pas, nous aurions déjà facilement atteint les dix milliards d’êtres humains sur la planète en 2010, l’Europe et l’Amérique seraient en plein boom, talonnées par la Chine et l’Inde. Le monde connaîtrait une période de prospérité comme il n’a jamais connu. Deux milliards d’êtres humains seraient en train de rejoindre le niveau de vie et la richesse des pays les plus avancés. L’automobile verrait son marché tripler. En 2020 nous sérions 20 milliards d’êtres humains, en 2030 40 milliards, en 2040 80 milliards et en 2050 160 milliards. Ce développement qui serait tout à fait naturel si nous n’étions pas limités par nos ressources correspondrait au pillage et à la complète destruction de plus de 200 planètes. Si nous continuions à ce rythme-là, nous dépasserions les 1000 milliards en 2100. C’est ce contexte de croissance qui permettrait en effet d’assurer nos retraites, de valoriser nos actions par une croissance à deux chiffres et de financer l’éducation et la recherche par la promesse de développement futur grâce à des marchés émergeants. Si cette croissance de dix pourcents est absolument nécessaire afin de rendre crédible nos endettements et nos systèmes de retraite, on voit bien que, dans la réalité, cette croissance débouche sur une situation écologiquement impossible et insoutenable. Par contre, le fait que cette croissance soit aujourd’hui impossible, rend chaque jour plus improbable le remboursement de nos dettes. L’économie mondiale apparaît comme un château de cartes construit sur de la dette insolvable et l’illusion d’une croissance future. »
Michel Saloff Coste, Prospective d'un monde en mutation, Harmattan, 2009

[9] C'est ce que développe le Club de Budapest à travers Les soirées des Amis et l'Université Intégrale.

[10] C'est le rôle d'organisations telles que "Design Me a Planet".

[11] Au-delà de la crise financière, Edition de l'Harmattan 2011

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